La région Sahel de l’Afrique, entre le Sahara et les savanes tropicales au sud, est devenue une base importante pour les groupes qui veulent établir des États djihadistes.
Un État djihadiste est une structure qui fonctionne sous la loi islamique, ou charia, et qui est dirigée par un seul chef, ou calife, qui combine des rôles politiques et religieux.
Des groupes tels que l’État islamique et al-Qaida se sont engagés à établir ces États, dénonçant la gouvernance démocratique.
Leur influence et leur modèle opérationnel sont en expansion. Ils radicalisent la population, exacerbent les conflits sectaires et aggravent les difficultés de régions déjà instables.
Opérant dans des parties du Burkina Faso, du Mali, du Niger, du Nigeria et du Tchad, ces groupes aspirent à former un califat djihadiste dans la région du Sahel.
En tant que spécialiste de la sécurité, j’étudie le terrorisme, l’insurrection, la criminalité transnationale organisée et la fragilité des États en Afrique depuis 2019 environ.
Je pense que plusieurs facteurs clés, interconnectés, pourraient favoriser l’émergence d’un État djihadiste dans le Sahel, en Afrique de l’Ouest. Parmi eux figurent l’explosion démographique, l’échec de la gouvernance et la pauvreté endémique.
À cela s’ajoutent des frontières poreuses, le trafic d’armes, la présence de forêts où les gens peuvent se cacher, les liens avec les groupes terroristes mondiaux et les récents coups d’État. Ces coups d’État ont fait reculer les efforts de lutte contre le terrorisme menés par les gouvernements élus.
Le terrorisme est alimenté par la propagation de groupes extrémistes violents. Au Sahel, une importante population pauvre sert de source de recrutement pour les djihadistes.
Répandre la terreur
L’insurrection menée par la branche locale d’Al-Qaida, Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), parallèlement au conflit impliquant la province sahélienne de l’État islamique, s’est intensifiée.
Selon Armed Conflict Location and Event Data (ACLED), au cours du premier semestre 2024, les décès signalés à travers le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont atteint un total sans précédent de 7 620, soit une augmentation de 9 % par rapport à la même période en 2023. Il s’agit d’une augmentation de 37 % par rapport à 2022, et d’une hausse alarmante de 190 % par rapport à 2021.
En octobre 2024, une offensive de Boko Haram près de la frontière nigériane a entraîné la mort d’une quarantaine de militaires tchadiens.
Si le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont devenus les quartiers généraux des groupes djihadistes au Sahel, la cible des attaques se dirige rapidement vers les franges septentrionales du Togo, du Bénin et du Ghana.
Le nombre d’incidents violents dans un rayon de 50 km autour des frontières de ces pays adjacents au Sahel a bondi et dépasse désormais les 450 cas signalés par an.
Cela démontre clairement l’existence d’un programme terroriste expansionniste dans le Sahel.
Possibilité d’un État djihadiste
L’explosion démographique, l’échec de la gouvernance et la pauvreté endémique en sont les principaux moteurs.
La pauvreté au Sahel est plus répandue que dans de nombreuses autres régions d’Afrique. Près de 80 % de la population subsiste avec moins de 2 dollars par jour.
La région connaît l’un des taux de croissance démographique les plus élevés au monde. Selon la Banque mondiale, les populations des pays du Sahel devraient croître rapidement après 2025.
La population de la région est majoritairement jeune, avec des âges médians compris entre 15 et 19 ans. Les taux de dépendance sont élevés : près de 100 personnes à charge par adulte en âge de travailler au Niger, au Burkina Faso et au Mali. Les projections suggèrent que ces taux de dépendance continueront à dépasser ceux des autres pays d’Afrique subsaharienne jusqu’en 2070.
Cette croissance démographique dépasse de loin les progrès économiques de la région, entraînant une baisse du niveau de vie. Il favorise les conditions qui rendent les jeunes susceptibles d’être recrutés par des groupes terroristes.
Parmi les autres facteurs qui favorisent l’expansion du djihadisme, la porosité des frontières reste un facteur essentiel. Elle favorise la circulation des armes légères et des munitions. La fourniture illicite d’armes renforce les groupes terroristes : ils sont souvent équipés d’armes sophistiquées.
Les récents coups d’État militaires au Sahel ont profité aux organisations terroristes opérant dans la région. Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, ces prises de pouvoir ont entravé les efforts de coordination des initiatives antiterroristes. L’autorité de l’État s’est affaiblie et la présence des groupes armés s’est accrue.
Ce climat d’instabilité permet aux entités terroristes d’élargir leurs activités. Elles profitent de l’absence de pouvoir créé par l’affaiblissement des gouvernements et le retrait des forces militaires occidentales.
Les efforts antiterroristes actuels des gouvernements militaires sont largement considérés comme se concentrant davantage sur la protection du régime dans les capitales des pays, tandis que les terroristes règnent dans les zones rurales.
La végétation dense dans certaines parties du Sahel rend la surveillance difficile. Les forêts deviennent des cachettes et des bases opérationnelles pour les groupes djihadistes.
Ces espaces comprennent Sambisa et Kuyambana au Nigeria, la forêt de Dida à la frontière du nord de la Côte d’Ivoire, et le Complexe W-Arly-Pendjari (Complexe WAP) à cheval sur le Niger, le Burkina Faso et le Bénin.
Par exemple, le Complexe WAP est devenu un refuge pour les groupes islamistes militants depuis 2018.
Le dernier facteur est la connexion avec les hauts responsables des groupes terroristes mondiaux en Syrie, en Irak, au Yémen et en Afghanistan, et le retour des combattants de ces pays au Sahel. Ces locaux qui étaient partis combattre dans les quartiers généraux des terroristes reviennent souvent avec une formation sophistiquée pour propager les idéologies terroristes, mener le recrutement et gérer les opérations clandestines.
Plus de 5 000 de ces combattants terroristes seraient en train de combattre au Sahel.
Quel rôle pour les organismes régionaux ?
Pour lutter contre les menaces posées par les groupes djihadistes au Sahel, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) peut explorer diverses stratégies ayant des dimensions militaires, politiques et socio-économiques.
La Cedeao a préconisé le déploiement potentiel d’une force régionale en attente pour renforcer les opérations de lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest. Elle aura besoin d’un financement, estimé à 2,6 milliards de dollars par an.
La Cedeao peut également lancer des programmes qui permettent à la société civile de participer aux efforts de consolidation de la paix. En favorisant la résilience des communautés, la région peut contrer les efforts de recrutement des djihadistes.
Quel avenir pour la région ?
Trois scénarios divergents se dessinent.
Les dictateurs militaires actuels chercheront à rester au pouvoir. Plus ils resteront, plus la situation sécuritaire se compliquera. L’accent mis sur la protection d’une petite élite militaire augmentera la marginalisation politique et les griefs, ce qui favorise souvent le recrutement par les groupes djihadistes.
Deuxièmement, le secrétaire général des Nations unies a déclaré en 2022 que « si rien n’est fait, les effets du terrorisme, de l’extrémisme violent et du crime organisé se feront sentir bien au-delà de la région (Sahel) et du continent africain ».
En d’autres termes, la région pourrait devenir le siège mondial d’un État djihadiste.
Enfin, il peut y avoir un avenir positif. Le Sahel est richement doté en énergies renouvelables. Il a le potentiel d’être l’une des régions les plus riches du monde, avec une pléthore de ressources humaines, culturelles et naturelles.
Dans un climat de stabilité politique, les gouvernements du Sahel pourraient exploiter les ressources et trouver les voies de la prospérité économique.
Ils peuvent réformer le secteur de la sécurité, investir dans les infrastructures et les services sociaux et freiner l’expansion des djihadistes dans la région.