La décision du président Donald Trump de retirer les États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sera vivement ressentie dans le monde entier, avec des répercussions majeures pour la santé en Afrique.
Dans le décret lançant le processus de retrait, Trump a également interrompu le transfert des fonds, du soutien et des ressources des États-Unis destinés à l’OMS.
Trump est à sa deuxième tentative de retirer les États-Unis de l’organisation, dénonçant une contribution financière qu’il jusge “exorbitante”.
C’est la perte du financement américain qui aura le plus d’impact. Les États-Unis sont de loin le principal bailleur de l’OMS, représentant environ 18 % de son budget total.
Le financement de l’OMS est réparti en deux catégories.
Il y a d’abord les contributions obligatoires : les cotisations des pays, que tous les membres de l’OMS acceptent et sur lesquelles l’OMS exerce un contrôle total. Les États-Unis représentent 22 %, soit 264 millions de dollars US, pour le budget actuel de 2024/25. Les États-Unis doivent encore payer à l’OMS leurs contributions pour 2024 et 2025. Se retirer de l’organisation sans payer ces cotisations serait une violation de la loi américaine et doit être contesté devant les tribunaux américains.
Il y a ensuite les contributions volontaires : les dons des pays membres, des fondations et d’autres sources, généralement affectés aux priorités du donateur. Les États-Unis contribuent à hauteur de 16 %, soit 442 millions de dollars, à l’ensemble des contributions volontaires.
Dans le cas des États-Unis, ces priorités comprennent le VIH/sida, l’éradication de la polio et les urgences sanitaires.
En tant qu’experts en droit de la santé mondiale, nous sommes profondément préoccupés par les conséquences de cette décision, dont l’impact sera considérable.
Le retrait des États-Unis de l’OMS menace des programmes de santé essentiels en Afrique. Il affaiblira la capacité des pays africains à faire face aux urgences sanitaires et pourrait entraîner une hausse de la mortalité et des maladies sur le continent.
Au-delà de l’Afrique, cette décision aura aussi des répercussions sur la gouvernance et le leadership en matière de santé mondiale.
Impact sur les programmes de base
La décision de Donald Trump intervient alors que les priorités sanitaires de l’OMS en Afrique souffrent déjà d’un manque de financement. Début 2024, huit des douze domaines d’intervention étaient financés à moins de 50 %.
Actuellement, 27 % des fonds américains transitant par l’OMS pour l’Afrique sont destinés à l’éradication de la poliomyélite, 20 % au renforcement de l’accès aux services de santé essentiels, et une grande partie du reste à la préparation et à l’intervention en cas de pandémie.
Le partenariat OMS/États-Unis soutient depuis longtemps la lutte contre le VIH/sida en Afrique, mais la réorientation et la réduction des fonds pourraient diminuer la disponibilité des programmes de prévention, de dépistage et de traitement sur tout le continent. Cela met en péril les progrès réalisés pour mettre fin au sida d’ici 2030.
Le déficit de financement affectera également les programmes destinés à améliorer l’accès à des services de santé essentiels de qualité, y compris les services de soins de santé primaires, l’accès à des services de santé essentiels de qualité, notamment la prévention et le traitement de la tuberculose et du paludisme, ainsi que les services de santé maternelle et infantile.
Si l’OMS est contrainte de réduire ces services faute de financements, cela pourrait entraîner une augmentation de la mortalité et de la morbidité en Afrique.
Les pays européens ont comblé le déficit de financement en 2020 lorsque Trump a suspendu pour la dernière fois le financement américain de l’OMS. Mais il est peu probable qu’ils soient en mesure de le faire à nouveau, car les pays d’Europe sont confrontés à leurs propres défis géopolitiques et financiers.
Le budget de l’OMS était déjà mal engagé alors que ses missions ne cessent de s’étendre.
Dans le cadre de son nouveau cycle d’investissement, l’OMS a recueilli 1,7 milliard de dollars de promesses de dons et attend 2,1 milliards de dollars supplémentaires grâce à des partenariats et à d’autres accords. Pourtant, même avant le décret du président américain, il restait un déficit de financement d’environ 3,3 milliards de dollars (soit 47 %) pour la stratégie 2025-2028 de l’OMS.
Si le vide laissé par la perte du financement américain ne peut être comblé par d’autres sources, il incombera aux nations africaines de financer les programmes et services de santé supprimés, ce qui mettra à rude épreuve les gouvernements qui doivent composer avec une marge de manœuvre budgétaire réduite.
Une réponse affaiblie face aux urgences sanitaires
La décision de Trump intervient à un moment charnière pour la santé en Afrique, qui connaît d’importantes épidémies.
Les États-Unis ont joué un rôle clé en matière de soutien aux interventions d’urgence menées par l’OMS.
L’année dernière, les États-Unis en partenariat avec l’OMS et le Rwanda ont contribué à maîtriser rapidement une épidémie de Marburg. Ce virus continue de menacer l’Afrique, et la Tanzanie vient d’annoncer une nouvelle flambée.
Au début du mois d’août 2024, l’OMS et le Centre africain de contrôle des maladies ont tous deux déclaré que le virus mpox constituait une urgence de santé publique sur le continent.
L’administration Biden avait livré 60 000 doses vaccins, promis 1 million supplémentaire et versé plus de 22 millions de dollars pour soutenir le renforcement des capacités et la vaccination.
Mais désormais, les autorités sanitaires américaines ont reçu l’ordre de cesser immédiatement de collaborer avec l’OMS, empêchant ainsi les équipes américaines en Afrique de réagir au virus de Marburg et au mpox.
Bien avant l’apparition de ces épidémies, les États-Unis soutenaient les interventions d’urgence de l’OMS pour lutter contre le COVID-19, le virus Ebola et le VIH/sida. Le retrait des États-Unis pourrait entraîner une hausse de la transmission des maladies, des infections et des décès dans les régions vulnérables.
De même, le partenariat solide entre l’OMS et les États-Unis a contribué à renforcer les capacités des systèmes de santé en Afrique pour faire face aux urgences de santé publique.
Des experts américains ont participé à près de la moitié des missions conjointes d’évaluation externe de l’OMS visant à évaluer les capacités de préparation et d’intervention des pays en cas de pandémie dans le cadre du Règlement sanitaire international. Il s’agit d’un accord contraignant de l’OMS visant à aider les pays à se préparer, à détecter et à répondre initialement aux urgences sanitaires à l’échelle mondiale.
Le retrait des États-Unis de l’OMS est une menace pour ces avancées, bien qu’il puisse également accélérer une régionalisation de la sécurité sanitaire déjà en cours en Afrique, menée par l’Union africaine par l’intermédiaire du Centre africain de contrôle des maladies.
Restructuration de la gouvernance
Les États-Unis ont joué un rôle déterminant dans la création de l’OMS et dans l’élaboration des normes et standards de l’OMS, en particulier en conduisant des amendements au Règlement sanitaire international adoptés en juin 2024. Il s’agissait notamment d’améliorer les obligations visant à faciliter le partage rapide d’informations entre l’OMS et les pays.
Les États-Unis ont également joué un rôle clé dans les négociations en cours pour un nouveau traité international, un accord sur les pandémies. Cet accord va établir de nouveaux droits et de nouvelles obligations pour prévenir les pandémies, s’y préparer et y répondre, avec des mesures allant au-delà du Règlement sanitaire international. Il s’agit notamment d’obligations relatives au partage équitable des vaccins.
Le décret de Trump empêcherait la mise en œuvre ou l’application de ces instruments aux États-Unis.
Cela ne ferait qu’accentuer les dynamiques d’inégalité lors de la prochaine urgence sanitaire mondiale, étant donné la concentration des entreprises pharmaceutiques mondiales aux États-Unis.
Le décret retire également les États-Unis des négociations de l’Accord sur les pandémies. Cela créera inévitablement une nouvelle dynamique diplomatique. D’un point de vue optimiste, cela pourrait offrir aux nations africaines de meilleures opportunités de renforcer leur position en matière d’équité.
Le départ des États-Unis de l’OMS créera un vide de leadership, ouvrant la voie à une restructuration du pouvoir et des alliances pour la santé mondiale.
Ce vide pourrait céder de l’influence à des adversaires des États-Unis, ouvrant la porte à une influence chinoise encore plus grande sur le continent africain.
Mais il offre également des opportunités pour un plus grand leadership africain en matière de santé mondiale, ce qui pourrait renforcer l’autonomie de l’Afrique.
Trump a demandé aux États-Unis de trouver des partenaires « crédibles » pour assumer les missions que remplissait l’OMS. Pourtant, aucune organisation ne peut se substituer à l’OMS, qui reste unique par sa portée mondiale et son autorité.
Depuis plus de 75 ans, l’OMS a été, et reste, la seule organisation mondiale de santé disposant des membres, de l’autorité, de l’expertise et de la crédibilité nécessaires pour protéger et promouvoir la santé de la population mondiale.
C’est pourquoi l’Union africaine, parmi une multitude d’autres organismes et dirigeants, a déjà exhorté Trump à reconsidérer sa décision.
Il est maintenant temps que la communauté mondiale défende l’OMS et veille à ce que son travail vital en matière de santé en Afrique et au-delà puisse prospérer.