Ce qui a commencé fin 2016 comme une manifestation pacifique par des avocats et des enseignants dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun a rapidement tourné à la violence et s’est transformé en ce qui qui est désormais connu sous le nom de crise anglophone du Cameroun.
La protestation a été déclenchée par le sentiment de marginalisation de la région anglophone du Cameroun, qui représente 20 % des 29 millions d’habitants du pays.
Le conflit a provoqué d’immenses destructions et fait de nombreuses victimes. L’armée camerounaise a répondu à la protestation par des arrestations et des tortures. Les voix qui appelaient à la sécession complète des régions anglophones de la République du Cameroun ont pris de l’ampleur.
Ils ont créé une République virtuelle d’Ambazonie et un gouvernement intérimaire en exil, et ont promis de riposter. Ils ont formé une aile militaire, les Forces de défense de l’Ambazonie, qui a attaqué et perturbé les services économiques et sociaux de la région.
En octobre 2024, plus de 1,8 million de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire. Plus de 584 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays. Plus de 73 000 sont devenues des réfugiés au Nigeria, pays voisin. Plus de 6 500 personnes ont été tuées.
Et le conflit fait toujours rage.
La médiation, avec l’aide d’autres pays, est l’une des voies possibles pour sortir de l’impasse. Mais le gouvernement camerounais a à plusieurs reprises repoussé l’intervention d’organisations telles que l’Union africaine, arguant que le conflit est une affaire interne.
Il a également mis fin à une médiation parrainée par le gouvernement suisse en 2022.
Il est clair pour moi, en tant qu’historien qui a étudié la politique étrangère du Cameroun au cours des trois dernières décennies, que les dirigeants camerounais ne se tourneront pas vers des acteurs extérieurs pour les aider à résoudre leur crise.
Le président fondateur Ahmadou Ahidjo, et plus tard son successeur Paul Biya, n’ont pas répondu à la pression extérieure pour résoudre les problèmes. Les relations diplomatiques du Cameroun sont fondées sur le respect de la souveraineté nationale et la non-intervention dans les affaires intérieures de l’autre partie.
Mes recherches montrent que les dirigeants camerounais rejettent toute intervention extérieure sur des questions qu’ils considèrent comme relevant de leur souveraineté et de leurs affaires intérieures.
Le retrait du Cameroun des programmes d’aide tels que le programme de l’Agence américaine pour le développement international et la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique n’a pas découragé ses dirigeants.
La compréhension de ce contexte est cruciale dans la recherche de solutions à la crise anglophone actuelle.
Read more:
Le Cameroun après Paul Biya : pauvreté, incertitude et succession précaire
Le recours à la force
Dans les années 1960, Ahidjo a réprimé avec brutalité l’organisation nationaliste appelée le Maquisard. Sa présidence s’est distinguée par des meurtres, des emprisonnements et des tortures.
Les opposants politiques ont été emprisonnés ou contraints à l’exil. Biya, qui a servi dans le gouvernement d’Ahidjo, a appris le leçons que la répression est un instrument qui fonctionne. En tant que président, il a utilisé des tactiques similaires contre ses rivaux et l’opposition.
Mais le recours à la force en réponse à la protestation anglophone a été un mauvais calcul. Le régime Biya n’a pas su replacer la crise dans le contexte des évolutions contemporaines. Il a mal compris les sources du conflit et a mal interprété le rôle des médias sociaux dans les activités de protestation au 21ème siècle.
La crise est née d’une série de griefs : pauvreté, chômage, négligence politique et économique de la région anglophone, incapacité à traiter le français et l’anglais comme des langues égales dans le pays, et manque de respect et de considération pour les Camerounais anglophones.
Au début, les manifestants étaient généralement pacifiques, mais la situation a basculé en 2017. Biya a déclaré que le Cameroun était pris en otage par des « terroristes se faisant passer pour des sécessionnistes » et a promis de les éliminer.
Pour les dirigeants anglophones, il s’agissait d’une déclaration de guerre officielle, et le message s’est rapidement répandu sur les médias sociaux. L’administration Biya n’a pas fait grand-chose pour ralentir ou arrêter sa propagation, et les anglophones à l’intérieur et à l’extérieur du pays ont accepté le message comme un fait. Il a mobilisé la région. Et peu de gens ont pris le temps de lire le texte intégral de ses remarques.
La brutalité de la guerre des deux côtés s’est intensifiée. Tout s’est passé si vite et la plupart des gens n’ont pas anticipé l’intensité de la violence.
Résistance à l’intervention extérieure
Dans ses relations diplomatiques, le Cameroun a longtemps tenu à protéger ce qu’il considère comme ses propres affaires internes.
Un exemple marquant remonte à 1992, après que l’administration américaine a critiqué Biya pour fraude électorale. Le gouvernement camerounais a riposté. Biya a retiré l’ambassadeur du Cameroun de Washington DC et a informé l’ambassadeur américain que l’Amérique ne devait pas se mêler des affaires intérieures du Cameroun.
En 2008, la tension a de nouveau éclaté lorsque M. Biya a modifié la constitution camerounaise afin de supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels. L’ambassadeur américain a critiqué cette décision dans la presse camerounaise. Une fois de plus, les responsables camerounais ont répliqué, demandant à l’ambassadeur de ne pas s’immiscer dans la politique intérieure du pays.
L’attitude des États-Unis à l’égard de la crise anglophone a été celle de la non-ingérence. D’autres grandes puissances ont réagi de la même manière, demandant aux deux parties de mettre fin à la violence.
Le gouvernement camerounais a rejeté les initiatives de la Suisse et du Canada, deux pays amis du Cameroun, en déclarant publiquement qu’il n’avait demandé à aucun pays de jouer le rôle de médiateur.
Le rejet de l’initiative suisse a été surprenant, étant donné que M. Biya passe beaucoup de temps dans ce pays. Contrairement au plan suisse, qui a donné lieu à des conversations, l’initiative canadienne n’a même pas démarré.
Perspectives
Des indicateurs mesurables montrent que le régime Biya ne parvient pas à mettre fin à la crise anglophone. Les meurtres – y compris ceux des forces de l’ordre -, les enlèvements, la brutalité et les demandes de rançon sont désormais normalisés dans la région anglophone, en particulier dans les zones rurales.
Le Grand dialogue national et la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme de Biya n’ont pas réussi à s’attaquer aux sources de la crise. Les habitants les considèrent comme des plaisanteries.
Les gens sont exaspérés par les annonces officielles vantant les réalisations du gouvernement. Leur situation reste bien pire qu’elle ne l’était avant la crise.
Les gens ordinaires se concentrent sur les problèmes de subsistance et sur le désir de dignité et de respect. Mais ils ne le voient pas.
Les jeunes Camerounais ont besoin de voir des résidents anglophones et francophones à tous les niveaux du gouvernement, à tous les échelons du monde des affaires, à tous les postes de direction, dans toutes les écoles et même sur tous les panneaux publicitaires.
Seule une approche aussi généralisée et visible peut remettre en cause de manière convaincante le modèle de discrimination et d’exclusion du Cameroun.
Le régime Biya doit s’engager à le faire et ne pas se laisser distraire par ses partisans qui le pressent d’être candidat à la prochaine élection présidentielle.
Il est important de traquer et traduire en justice les commanditaires apparents des meurtres dans le pays. Cela doit être fait pendant que le gouvernement tient ses promesses d’arranger les choses pour ceux qui vivent dans les régions anglophones.
Enfin, étant donné les investissements de la Chine au Cameroun, elle peut faire plus pour engager le régime Biya dans la crise anglophone. Comme le Cameroun, la politique de la Chine stipule également une politique de non-intervention, mais elle a changé de cap à plusieurs reprises lorsque ses intérêts stratégiques sont menacés.
Le statut de grande puissance exige de grandes responsabilités et la volonté de mettre fin aux violations chroniques des droits humains reste une obligation importante.